Jürgen W Einhorn (1998)
Spiritalis Unicornis. Das Einhorn als Bedeutungsträger in Literatur und Kunst des Mittelalters.
München, Wilhelm Fink, 2nd ed. (ISBN: 3-7705-3143-4).
L'ouvrage recensé ici est la seconde édition d'une somme sur la licorne au Moyen Age, parue sous le même titre en 1976 et signalée en son temps dans ces colonnes par F.O. Büttner (BC 1979-2, n° 699). Comme celui-ci le formulait, "Eine so große Masse von Stoff wurde hier zusammengetragen, daß man zunächst einmal erstaunt, daß ein einzelner in bemessener Zeit (…) sein Wissen und seine Denkmalkenntnis so weit ausdehnen konnte". La masse ne s'est pas amoindrie, bien au contraire: les 685 pages sont denses, et même imprimées en petit corps à partir de la p. 387. Issu d'une thèse soutenue à Kiel en 1970, l'ouvrage veut faire le tour du motif de la licorne dans la littérature et dans les arts figuratifs du Moyen Age. Il s'inscrit dans la lignée de la "Bedeutungsforschung", cultivée pendant de nombreuses années par les médiévistes de Münster, sous l'impulsion décisive de Friedrich Ohly. Etudier comment les êtres et les objets ont pu être porteurs de sens second et acquérir au fil du temps un faisceau de significations possibles, tel était l'objet de cette direction de recherche féconde, qui a donné lieu à de nombreux travaux parus dans la revue des Frühmittelalterliche Studien et dans la collection de monographies de Münster, toujours poursuivie.
L'ouvrage se présente en deux parties principales: une étude thématique (p. 25-385), et un catalogue des représentations (p. 387-592). Suivent une bibliographie abondante et divers index. L'étude proprement dite s'ouvre par un état de la question, qui s'interroge de façon intéressante sur les sources orientales du motif de la licorne. L'a. n'a pas hésité à recourir aux traditions mésopotamiennes, indiennes, japonaises et chinoises. Le deuxième chapitre prend pour point de départ le Physiologus gréco-chrétien et ses multiples avatars latins, enrichis d'apports patristiques et encyclopédiques. Les mss sont ici à l'avant-plan, tant pour leur apport textuel qu'iconographique. Le troisième chapitre s'intéresse aux traditions vernaculaires: traductions des Psaumes, commentaires de la Genèse, les thèmes de la vierge à la licorne, le symbolisme marial, et certains récits particulièrement féconds. Les thèmes sont interrogés dans un va-et-vient entre textes littéraires et représentations, avec un souci de cohérence des attestations dans le temps et l'espace. Ce travail est autant une somme de connaissances qu'un modèle de méthode. Comment aborder dans la longue durée et de façon transversale, pour tout l'Occident chrétien, un thème d'une grande fortune tel celui de la licorne ? L'entreprise relevait de la gageure, tant le corpus est ramifié. Le répertoire des représentations, qui occupe deux cents pages, comprend quelque 1400 cas, rangés sous 912 numéros d'ordre…
Qu'en est-il de la mise à jour du livre ? La bibliographie a été systématiquement enrichie, et certaines œuvres d'art ont été ajoutées au répertoire, sans que la numérotation change, ce qui est opportun. Les illustrations, qui formaient un appendice en fin de volume, ont été ici intégrées au texte, et leur nombre a été augmenté d'une trentaine d'unités (il y en a 202). Leur qualité était cependant un peu meilleure dans l'édition de 1976, où elles étaient imprimées sur papier glacé. Dans la partie rédactionnelle, il nous semble que les changements sont assez limités, et que l'essentiel est l'ajout d'une section, fort novatrice au demeurant, sur la fortune du thème après 1530. L'a. est revenu sur une affirmation péremptoire dans son livre de 1976, selon laquelle la licorne avait perdu aux temps modernes sa richesse de sens. A travers l'emblématique, les livres de dévotion, l'art baroque, et jusqu'à la littérature du XXe siècle, il montre que la fascination pour cet animal qui n'existe pas, comme le disait Rilke, s'est poursuivie, et qu'elle perdure toujours.
Du point de vue de ce Bulletin, on relèvera la grande place accordée aux miniatures, ce dont témoigne de façon éloquente l'index des mss, qui occupe six pages. A ce propos, on peut constater avec joie que le travail patient des nombreux scribes du Bulletin codicologique n'est pas sans effet. Dans son compte rendu, F.O. Büttner déplorait, comme unique critique, la difficulté de repérer dans le texte les mss utilisés, car l'index des mss en fin de volume ne fournissait que les cotes. Dans cette nouvelle mouture, l'a. s'en est souvenu et a très opportunément indiqué dans l'index les numéros d'ordre du registre des œuvres à côté de la cote de chaque ms.
Après le livre de M. Einhorn, il est difficile d'en dire plus sur la licorne. On pourra ajouter l'un ou l'autre cas au corpus, sans que sa cohérence n'en soit atteinte pour autant, et l'on pourra nuancer certaines interprétations ou approfondir tel ou tel registre. Mais rarement une étude thématique n'aura tant approché de l'exhaustivité, chimère que les chercheurs poursuivent telle une licorne toujours fuyante.
Baudouin VAN DEN ABEELE